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SEPTEMBRE 2000, PRAGUE COMME SI VOUS Y ÉTIEZ

Par Loïc THÉPOT

Samedi 23 - Dimanche 24 - Lundi 25 - Mardi 26 - Mercredi 27 - Jeudi 28 - Vendredi 29

 

Cette relation tout en se voulant la plus précise et la plus exacte possible au niveau des faits et des informations n'en demeure pas moins une vision partielle, morcelée et subjective : la mienne. J'essaie de retraduire les évènements en temps réel, c'est-à-dire que j'essaie de faire passer l'état d'esprit qui était le mien au moment de chaque événement, donnant ainsi parfois les infos qui nous étaient transmises à ce moment-là, même si certaines d'entre elles se sont plus tard trouvées infirmées. Vous trouverez en fin de récit plusieurs annexes : leur objectif est de faire la part des choses entre les infos vérifiées et les rumeurs. Ces annexes sont donc évolutives et peuvent changer au fur et à mesure de l'avancement de la collecte d'informations. Chaque version nouvelle annule la précédente. Celle-ci est la deuxième : j'y ai corrigé certaines erreurs d'interprétation de ma part, j'y ai rajouté des détails et des précisions d'ordre géographique notamment, et j'y ai corrigé certaines formules qui, bien que révélatrices de mon état d'esprit au moment de l'action, ne pouvaient être formulées telles quel après les évènements tragiques qui se sont déroulés.

Veuillez excuser l'orthographe déplorable et le style parfois lourd, l'écriture a dû être des plus expéditives. Bonne lecture.

VENDREDI 22

Nous partons vers 16h30 de Paname avec le Front Musical d'Intervention, fanfare militante indépendante, dans le bus d'une ligne régulière, InterCar. Nous ne savons même pas si nous allons pouvoir passer la frontière tant les infos en notre possession sont alarmistes. Un des membres de la fanfare a notamment refusé de venir en arguant du fait que les frontières seraient complètement bloquées. D'autres infos parlent de l'encerclement de Prague par les forces de l'ordre, mais seulement pour la grande journée du 26 : on s'en moque; si on arrive avant on sera dans la place, c'est ça qui compte. Dernières frayeurs, colportées par Internet et le bouche à oreille : le congrès serait déplacé dans une ville de province. Qu'importe, nous avons décidé de partir, nous partons, sans savoir vraiment ce qui nous attend là-bas.

Dans le bus nous sommes une douzaine de musiciens et de chanteurs de la fanfare, trois autres nous rejoignant par Eurolines. Il y a aussi Aude et Boris de Grenoble qui logeront avec nous et quelques autres manifestants d'Alternatives Libertaire, du Scalp, ou des indépendants et sans titre &endash; comme nous. L'ambiance reste sobre et discrète tout le début du voyage. Lorsque nous nous arrêtons pour manger, première catastrophe : nous n'avons qu'une bouteille de vin pour une vingtaine de personnes. Nous nous retrouvons à magouiller au relai-autoroute en prenant deux plateaux-repas surchargés de carafons de rouge que nous rapportons discrètement dans l'espace pique-nique (qui n'est d'ailleurs pas un espace pique-nique). Le vin fini enfin par faire son office et c'est en chantant que le bus redémarre. Après Addio Lugano, ayant épuisé les Butte Rouge et autres Estaca, et j'en passe et des meilleurs, Dom et les miss entament Vive le vent. C'est le moment critique que je choisis pour aller essayer de trouver le sommeil, lequel, malgré les carafons de rouge, ne viendra jamais complètement. Nuit blanche donc.

Nous arrivons enfin à la frontière Tchèque. Le conducteur passe récolter les passeports. Pas l'ombre d'un képi, pas une voiture arrêtée. Je sors dans la brume pour prendre quelques clichés. Toujours pas de présence douanière. Un bus arrive derrière nous, des Anglais venus pour la "demonstration". Like us. Et hop, c'est parti pour une semaine d'anglicanisme-palabré. Nous passons la frontière sans encombre. Nous sommes assez déçus, nous attendant à plus de zèle de la part des douaniers et fanfaronnons à tout va, surtout moi. Une question pourtant : est-ce que ce mouvement ne serait finalement pas si important, à tel point qu'un douanier ne se déplace même pas dans le bus pour voir nos gueules ? Le jour se lève déjà.

Voici des échos de passages de frontière plus difficiles : le bus de la caravane anti-capitaliste est considéré comme trop rouillé pour passer en Tchéquie (ce qui est un comble vu l'état des voitures Tchèques). Les gens de la caravane retournent donc passer la nuit en Allemagne et en profitent pour poncer le car et faire quelques retouches de peinture. Ils repassent le lendemain à la douane devant des douaniers qui s'en foutent complètement et les laissent entrer. Un autre gars a été bloqué car soi-disant ce n'était pas lui sur la photo du passeport : en effet, il était imberbe lors de la prise de photo et arborait maintenant une barbe des plus fournies. Il repart donc d'où il vient, se rase, se représente à la douane et passe. On voit bien que si la République Tchèque ne pouvait pas fermer complètement les frontières, les douaniers avaient pour ordre d'essayer de refouler le plus de monde possible sur n'importe quel motif.

SAMEDI 23

Après un paysage vallonné plongé dans la brume, on se trouve maintenant au cœur d'une forêt de conifères qui fait parfois place à de très grandes clairières. Nous arrivons dans un partout-pareil-Land assez énorme, ZI d'une quelconque ville Tchèque. Devant nous les camions et au loin des barres HLM. Comme tout se ressemble, comme tout se répète. Que penser de tout cela ?

Nous arrivons vers 8h-9h à la gare routière de Prague. Bertrand, un ami d'Alain qui vit à Prague et à Paris nous prend en charge. Dispatch des groupes dans les logements. Le groupe se répartit suit :

Dom embarque toutes les filles ainsi que Boris, car ce dernier parle Russe, et va dans le Nord-ouest, près du Château, chez Michal. Ce dernier ne parle que le tchèque ou le Russe, ce qui explique la présence de Boris.

Bertrand et Alain partent chercher Laura, Marc et Roland qui arrivent par Eurolines. Ils sont accompagnés par les libertaires d'AL et du Scalp, Emerick, Nally et Brice qui vont chercher leurs potes de leur côté.

Nous partons, Sylvie, Gérard, Cédric et moi chez Corinne, l'ami de Sylvie qui habite vers le quartier sud de Nusle. Nous sommes abordés dans le métro par un homme qui fait partie de la presse de rue. Il continue à entretenir la pression que l'on a ramenée de France : c'est très dangereux de rester grouper dit-il, la police et le gouvernement enchaînent les manœuvres d'intimidation sur la population Tchèque. Il nous conseille en cas de problème de nous réfugier vers les gens de la presse qui seront reconnaissables à la chasuble rouge qu'ils arboreront durant les jours à venir. Il nous explique aussi le rôle des observateurs légaux, reconnaissables quant à eux à leur chasuble bleue claire. Ils sont sensés être neutre et prendre notes de tout ce qui se passe, photos à l'appui histoire d'aider à débrouiller plus tard les affaires qui ne peuvent manquer d'arriver. Plutôt alarmiste comme discours. Tout cela est démenti par l'amie de Sylvie qui nous accueille dans son 2 pièces de 70 m2 avec un petit déj' gargantuesque tout préparé. Elle nous dit que les flics sont biens cons et énervés et peuvent de ce fait être dangereux, que plusieurs commerces sont fermés ainsi que la plupart des administrations mais que la population est plutôt calme et que d'ailleurs vu qu'il fait beau ils sont tous partis à la campagne. Pendant que je suis sous la douche, la troupe d'Eurolines débarque. C'est marrant, il se trouve que Bertrand et Corinne se connaissent. Un nouveau protagoniste fait son entrée : Daniel, un Anglais qui vit à Prague et qui fait partie, comme Bertrand, du groupe de surréalistes proches du réalisateur Tchèque Svankmayer. Il habite la même rue que Corinne et pourra loger des gens.

Le salaire de base en Tchéquie serait de 6000 couronnes (Kr), ce qui correspond à 1200 francs environs. La vie ne nous apparaît donc pas chère du tout. Pour nous c'est un fait. Pas pour les Tchèques : si le salaire de base est 6000 Kr, disons qu'en France c'est 6000 Fcs. On a donc le rapport 1 Kr=1Fc. Or, un titre de transport d'une semaine vaut 250 kr à Prague contre 80 Fcs à Paris. C'est donc 3 fois plus cher pour les gens de Prague ! Et je ne parle pas du prix de l'essence (20 à 30 Kr le litre) ou du Snikers (17 Kr).

Cédric, Laura et moi nous installons dans le studio de Daniel puis nous partons retrouver la fanfare au Convergence Center de l'Inpeg. L'Inpeg est le réseau qui chapote l'organisation de Prague 2000 et avec qui nous étions en contact depuis la France. Notre arrivée en fanfare est remarquée. Il y a ici très peu de monde comparé à ce que j'attendais. De plus j'ai l'impression, partagée par beaucoup, que c'est le bordel. Où sont les gens de l'Inpeg ? Une tentative de réunion pour l'organisation du Art of Resistance Festival est en train de se dérouler. On va tendre l'oreille avec Dominique et Jennifer qui nous fait la traduction car la plupart des gens présents sont des Américains ou tout du moins des anglophones. On apprend que la plupart des lieux prévus pour le festival ont finalement refusé d'accueil Art of Resistance sous l'injonction du gouvernement. Le festival se réduira à un seul lieu, une usine près de Vysocanska, très loin du centre ville, qui pourra être occupée de 16h à 24h uniquement. La fanfare est programmée pour l'ouverture. Rien d'autre à faire pour cet après-midi.

Une fille arrive pour prévenir qu'une manif d'extrême droite se dirige vers l'Info-center de l'Inpeg situé dans le centre ville et qu'il serait bien que le plus de monde possible se rende là-bas au cas où il leur prendrait l'envie de tout casser. On décide de s'y rendre, en tram et à pied, jouant sur la route. Ce n'est pas très convaincant, mais on a des excuses : la trompette dort chez Corinne et les basses sont parties boire un coup. Notre fanfare semble bien désunie, ce qui n'aide pas à prendre confiance en l'avenir. On parvient néanmoins à rejoindre nos pièces manquantes devant l'Info-center. On joue un moment sans apercevoir le moindre facho. Les médias commencent déjà à nous prendre pour cible, mais restent encore assez discrets. Un journaliste de Libé vient tenter une interview, digne d'un connard fini de journaliste qu'il est.

Nous voulons aller manger dans un resto. On se retrouve malheureusement dans un faux resto italien chic et branché. Niveau dépaysement, on a vu mieux et en plus c'est pas bon. Une petite partie de la fanfare va se coucher tandis que Daniel conduit ceux qui veulent goûter à la pinte à 4 fcs de bar en bar. Nous échouons pour finir dans un rade branché à plusieurs étages qui passe de la musique mexicaine et du Ska en bas et une espèce de daube branchée à l'étage au-dessus. Une légende naîtra selon laquelle je n'ai fait que monter et descendre les trois étage en prenant un verre à chaque fois. Ce qui est faux : ayant trouvé de quoi me contenter au premier étage, je n'ai même pas mis les pieds au second. Un Danois lancé en grande conversation avec trois tchèques qui ne comprennent pas un mot de l'anglais avec lequel il les abreuve s'entretient un moment avec nous avant de me dire que son ami ici présent (il me désigne une espèce de gars au physique de camionneur accoudé au bar) est en manque sexuel. Autre légende qui naît là-dessus, n'en parlons pas. Nous finissons par ne plus être que quatre, Cédric, son djembé, mon saxo et mézigue. Après avoir goûté des alcools aux noms bizarres on prend le tram de nuit en tapant le bœuf tous les deux, complètement pétés. Le chauffeur nous demande de nous arrêter de jouer, et on fini en rentrant à pied, en nous demandant où donc se cachent les jeunes petites Tchèques. Daniel nous accueille chez lui en nous préparant une tasse de thé.

DIMANCHE 24

Une première manif est prévue à 10h30, organisée par Jubilée 2000 pour l'annulation de la dette extérieure des pays du tiers-monde. La discussion va bon train, Alain soutenant que Jubilée 2000 est une orga catho. Certains n'en sont pas sûr. On leur oppose l'argument du nom de l'orga en question, argument qu'ils nous renvoient à la gueule :"Et alors, on s'appelle bien le FMI, non ?". Bref, on décide finalement de ne pas y aller &endash; dans le doute ?- d'ailleurs 10h30 c'est tôt pour un premier jour d'action. L'avenir nous donnera raison car nous apprenons qu'une messe a eu lieu avant le départ de la manif de Jubilé 2000. Mais qu'est-ce qu'ils viennent foutre ici, non de Dieu ?

Nous nous retrouvons donc vers 13h, passées je crois, à l'entrée du parc Letna, au nord de la ville. Nous avons beau chercher, pas moyen de trouver ne serait-ce qu'un seul manifestant. Juste deux condés à qui nous demandons des nouvelles de la manif. Ils nous apprennent qu'elle est en ce moment devant le ministère de l'intérieur. Merci ; ils sont encore coopératifs et nous adresseraient presque des sourires si nous n'avions pas clairement la touche de futurs manifestant. Néanmoins on se rend déjà compte que nos instruments nous serons plus qu'utiles, tout comme la présence de Bertrand qui s'est octroyé avec notre bénédiction le rôle de guide-traducteur. Nous traversons donc le parc pour rejoindre le ministère. Alors que nous sortons des arbres et des allées pour déboucher sur un large champ côtoyant un stade gigantesque nous apercevons au loin un attroupement conséquent qui semble revenir des bâtiments ministériels. Amis ou ennemis ? Le spectre des fascistes est toujours présent, mais les vives couleurs rouges nous rassurent et nous décidons d'une arrivée en fanfare. Comme d'habitude, la cavalerie est toujours en retard, ces manifestants s'avérant être de retour du ministère. Très vite nous sommes entourés par les caméras et les photographes, certains ne se gênant même pas pour bousculer un chanteur de manière à mieux pouvoir filmer un musicien. C'est ce genre d'attitude de la part de la presse qui nous emmerde le plus et nous redoutons les jours à venir. Nos craintes s'avéreront être sans fondement car les journalistes les plus cons semblent avoir disparu dés les premières "actions" sérieuses. Néanmoins ce seront malheureusement ces journalistes-là qui feront la presse internationale, ce qui peut expliquer la désespérante couverture médiatique de ces évènements, particulièrement chez Astérix. Nous n'échappons pas non plus à la récupération et très vite des drapeaux se lèvent derrière la fanfare bien en vue des caméras. Nous apprenons que le train des Italiens est bloqués à la frontière, et c'est pour réclamer leur passage que les activistes étaient allés au ministère de l'intérieur. Pourquoi en sont-ils revenus si vite ? Ils ne savent pas. Encore une fois je commence à me poser de sérieuses question quant à l'efficacité de la "demonstration". Bref, tandis que la quasi-totalité des membres de la fanfare est interrogée par les journaleux, les manifestants décident de retourner au ministère de l'intérieur. C'est très tentant de les accompagner, mais nous sommes attendus au Art of Resistance festival à 16h à l'autre bout de la ville et il est déjà 15h30. Nous rompons donc à regret, désireux tout de même d'honorer nos engagements, voir même, pour une fois, d'être à l'heure.

Dans le tram, où l'on s'amuse à faire un raffut du diable et un ramdam de l'enfer, j'ai le bon goût de m'asseoir en face d'une petite brune des plus mignonne qui soit, armée d'un immense carton à dessin en plastique qui s'avérera être rempli de photos. La fraternisation se fait facilement lorsque je propose un coup de main à cette pauvre artiste qui semble crouler sous le poids de ses œuvres. Elle s'appelle Polymnia, Polia pour les intimes ou les tâches comme moi qui ne suis pas capable de retenir ce prénom (c'est celui d'une des muses). Inutile de dire que notre langue commune sera l'anglais, qu'elle parle d'ailleurs très bien ayant fait ses études de pharmacie en Angleterre. Elle est aussi photographe à l'occasion et elle est venu exposer au festival quelques clichés d'une usine désaffectée qu'elle a pris avec son "ami" (Friend ? j'ose pas demander si c'est son Boyfriend) qui se trouve quelque part dans Prague. Elle ne sait pas où mais ça n'a pas l'air de l'inquiéter outre mesure. Nous arrivons à l'heure au festival, 16h. Sauf qu'il y a eu mésentente quelque part et nous ne devons jouer qu'à partir de 17h en fait. C'est trop juste pour rejoindre la manif et revenir à l'heure et nous sommes de plus affamés. Heureusement Boris et Aude nous rejoignent chargés de sandwichs et de gâteaux divers et variés et on s'en jette un dans un parc, savourant le soleil qui est toujours au plus haut.

Quelque discussion nous oppose encore, quant à nos actions du mardi. Nous venons en effet de recevoir une invitation de Socialisme par en bas pour aller jouer à 6h du mat pour accueillir le "comité tous à Prague" qui arrive en bus. Tous à Prague c'est ATTAC, socialisme par en Bas, droits devant etc… Nous ne sommes pas très chaud, surtout Dom qui a eu l'occasion de voir comment agissait socialisme par en bas dans toutes les réunions de préparation du comité duquel nous avons décidé de nous retirer, préférant nouer des relations avec la caravane anti-capitaliste "Sans-titre". Socialisme par en bas est un groupe de militant qui essaie de s'immiscer de partout, de tout phagocyter et de tout détourner à leur compte, toujours en arborant fièrement leur canard. De retour à Paris, Christophe me dira qu'ils sont "financés par des trotskistes Anglais". Nous sommes plusieurs à rejoindre Dominique. Il est finalement décidé que nous refuserons d'aller accueillir les gens de Tous à Prague (d'ailleurs c'est trop tôt et c'est pas notre rôle de jouer les vahinés qui offrent des colliers à fleurs) mais que l'on proposera à SPB de se joindre à notre réunion de demain avec la caravane.

Nous retournons donc à l'usine où à lieu le festival, un complexe immense, comme jamais je n'en ai vu. Le périmètre alloué au festival est bien sûr très délimité, et c'est bien la mort s'il atteint ne serait-ce que 5% de la surface au sol de l'usine. Il peut néanmoins accueillir plusieurs centaines de personnes voir plus. Je retrouve la pauvre Polia qui se voit accaparée par R.V., cette espèce de reporter photographe ("le reportage, c'est moi") que nous avons rencontré hier soir et qui est tout dégoulinant d'autosatisfaction et imbu de sa personne à un point incroyable. Et fanfaron avec ça. Cela dit, ses photos sont drôlement bien, drôlement mal tirées mais drôlement bien. Dans le plus pur style "reportage", s'entend. Nous jouons quelques airs devant un public peu nombreux puisque tout le monde est à la manif. Il en sort quelque bouillie infâme dûe à l'extrême résonance, réverbération cataclysmique des lieux et nous sortons rapidement - sous les applaudissements pourtant ! - pour tenter de rejoindre la manif. Nous croisons devant l'usine quelques personnes qui nous informent que la manif est finie. Nous allons donc juste à la sortie du métro pour accueillir le retour des manifestants avant de revenir écouter les autres groupes du festival. Je discute 5mn avec un Montreuillois qui essaie d'expliquer à des français du Sud qu'il n'est pas parisien car Montreuil c'est pas Paris, et comme je l'appuie dans son argumentation, il m'offre un autocollant de "Ne Pas Plier". Ce qui nous relance dans une nouvelle conversation, notamment sur la portée de l'action du surlendemain, sur la nature de cette action. Je lui dis en substance que je n'ai pas fait le déplacement à Prague juste pour faire un "Bastille-Répu" en cortège comme dirait Alain, que j'aurai très bien pu faire en restant à paris, mais bien pour faire en sorte d'annuler la réunion, comme cela avait été le cas à Seattle. Lui me démontre l'importance d'une telle mobilisation internationale, quand bien même cela ne perturberait pas directement les Banquiers. Je tombe néanmoins d'accord sur le fait que cette conversation n'aurait pas eu lieu si j'étais resté en France, et lui sur le fait que si la mobilisation internationale se réduit aux mille ou deux mille activistes présents dans l'usine, et ben c'est pas gagné. Je rejoins Polia et nous discutons jusqu'à l'arrivée de ses amis Grecs, notamment son ami Savas qui m'est tout de suite extrêmement sympathique, peut-être parce que j'ai l'impression que leurs rapports ne sont pas des rapports de couple. Comme ils n'ont plus d'endroit où dormir à partir de demain soir je prends sur moi de les inviter chez Daniel. Ils se confondent en remerciements à tel point que ça devient gênant, surtout que je ne sais pas si Daniel sera d'accord.

Affamé une fois de plus je les laisse pour aller manger avec une petite fraction de la fanfare. Bertrand nous conduit jusqu'à un petit resto tchèque de sa connaissance qui hélas ne sert plus à cette heure (il doit être 23h, ce qui est très tard à Prague). On se retrouve alors dans un Tex-Mex hyper Kitsch, genre décor d'Hacienda, avec verdures, faux graffitis Zapatistes ("C'est le cuisinier" dira Bertrand) et lumière colorées ultra tamisée, au point qu'on demande au serveur de nous rajouter des bougies supplémentaires pour réussir à couper la viande dans notre assiette. Je rentre en tram avec Cédric et Laura.

LUNDI 25

Nous nous retrouvons tous au Centre de Convergence pour préparer l'action du lendemain. Si la petite mobilisation d'hier ne m'avait pas convaincu, l'organisation qui semble prendre forme aujourd'hui me rassure complètement. Le Centre grouille comme une fourmilière, sous les regards des flics qui encerclent le centre et se baladent même en son sein (c'est dire si nous jouons la transparence). Les médecins et Polia s'occupent d'organiser des formations éclairs en soins, surtout des sensibilisations à l'effet du gaz lacrymogène et du fameux et très craint gaz au poivre. Cette saloperie pénétrerait la peau, laissant la victime sur le carreau, aveugle et neutralisée pendant un certain temps. D'autres répètent des slogans, peignent des banderoles, organisent leurs stratégies. L'Inpeg enchaîne réunion sur réunion avec des délégués de chaque groupe pour essayer de coordonner l'action.

Sous l'énergie de la caravane anti-capitaliste nous décidons de former un groupe d'affinité francophone, non pas par nationalisme quelconque mais pour la simple et bonne raison que plusieurs d'entre nous parlent uniquement français et qu'il peut s'avérer fâcheux de ne pas comprendre ce qui se passe dans les moments de speed, si jamais cela venait à mal tourner. Nous nous réunissons donc - on commence à avoir l'habitude. Il y a là les gens de la caravane et de la fanfare, violemments sans-titre, quelques gens de Scalp ou d'AL, un adorateur du Che qui propose sa panoplie de T-Shirt, des Belges de je ne sais où et bien sûr les inévitables SPEB. Cédric de Longo-maï (nous dirons Cédric B. pour ne pas le confondre avec celui de la fanfare) nous explique l'organisation de la manif telle qu'elle a été prévue dans ses grandes lignes. Tous les manifestants ont rendez-vous dés 9h dans le square de Namesti Miru. Les activistes seront répartis en trois "couleurs" : bleus, jaunes, roses. Le cortège commun s'ébranlera à 11h en direction du palais des congrès, qui se trouve au sud du square, de l'autre côté de la vallée. Les bleus devront marcher en tête car ce seront les premiers à prendre le large, leur mission consistant à passer par l'ouest pour bloquer les accès sud et sud-ouest du palais des congrès (qui n'est d'ailleurs pas un palais mais un centre, mais je l'appelle palais pour pas mélanger avec le centre-info et le centre de convergence). Ils représenteront environ 40% des activistes car leur zone à couvrir est la plus vaste et la plus difficile. Comme les "bleus" seront en majorité les Anars et autonomes de tous bords, notamment des Tchèques ou des Black Groups qui ont fait des prouesses à Seattle, il y a fort à parier qu'il y aura de la castagne. Les "jaunes" sont censés avancer au plus court pour bloquer l'accès nord, c'est-à-dire l'immense pont de Nusle qui traverse la vallée pour aboutir pile poil sur le palais. Ce seront majoritairement des artistes de rue, des musiciens, des sans-titres. On dit entre nous les rêveurs. Le pont est très important, il y aura donc certainement une forte présence policière mais comme c'est un cortège plutôt très non-violent et que l'accès à bloquer est très ponctuel, les "jaunes " ne représenteront que 20% des activistes. Les "roses", quant à eux, prendront le chemin le plus long par l'est et auront plusieurs tunnels à travers, ce qui peut être dangereux. C'est pourquoi, et vu aussi le nombre d'accès qu'ils auront à garder, ils représenteront 40% des activistes. Les "roses" seront composés des syndicats et partis rouges de toute tendance en majorité, les embrigadés quoi, et de la Batucada qui est le seul autre groupe de musique que je verrais de toute la semaine. SPEB essaient bien sûr de récupérer tous les gens présents de la manière la plus visible possible, désamorçant toute proposition d'action autre que la participation au cortège, et au cortège rose, cela va de soi. Las de ces discussions hermétiques qui ne mènent à rien nous décidons de séparer le groupe en deux : d'un côté les socialos et leurs potes, de l'autre ceux qui veulent continuer à appartenir à un groupe francophone non pas lié par des raisons idéologiques mais plus par un objectif commun.

En effet, la manif ne s'ébranlant qu'à 11h, cela nous laisse toute la matinée pour mener une action indépendante. L'idée d'aller emmerder la délégation française à son hôtel le matin est lancée et semble trouver écho. Nous décidons à ce moment-là de nous réunir à part un petit moment avec la fanfare car nous ne sommes pas d'accord entre nous. Beaucoup de musiciens ne sont pas très chauds pour une action le matin car ils craignent pour leurs instruments et Cédric B. leur paraît un peu trop engagé dans une action physique qui les effraye. Je passe rapidement sur les discussions pour en arriver à la conclusion collective : en ce qui concerne la manif nous n'irons ni avec les anars car ce sera trop chaud ni avec les "roses" car nous ne voulons pas nous retrouver sous une bannière quelconque. Nous préférons les jaunes, et il nous semble qu'en tant que fanfare, notre place est là plutôt qu'ailleurs. Pour ce qui est d'une action le matin, nous finissons par emporter un "oui" à condition que cela soit le plus soft possible, qu'il y ait des militants qui nous protègent et qu'on n'aille pas jusqu'à l'arrestation. Nous rapportons le résultat de nos délibérations au groupe d'affinité qui les accepte. Ils ont pendant ce temps avancé dans la stratégie du matin. La délégation française se trouve dans trois hôtels différents : Fabius dans l'un, et le reste de la délégation, dont les gros patrons, dans deux autres hôtels se faisant face dans une autre rue. Nous ne sommes qu'une cinquantaine, et il nous faudrait nous séparer en deux pour bloquer ne serait-ce qu'une rue. Cédric B. nous dit qu'un bus d'une bonne cinquantaine de toulousains est attendu mais bloqué pour le moment à la frontière. Il est donc hasardeux de compter sur eux, mais nous le faisons quand même car l'idée d'un blocage à 2x25 personnes n'a que très peu de sens. Nous choisissons a priori l'hôtel de Fabius, histoire de faire la continuité avec Seattle où il n'avait pu parvenir à la conférence. Comme pratiquement aucun des cinquante francophones présent n'a déjà participé à un blocage, on passe aux travaux pratiques. Pendant une demi-heure nous mettons ainsi en place notre tactique, nos signes de communication etc., en envisageant divers situations, chacun jouant soit la fanfare, soit les activistes, soit les flics. Il est dit que la fanfare sera protégée dés la moindre présence policière, tout en continuant à jouer le plus longtemps possible et qu'en aucun cas on n'ira jusqu'à l'arrestation, rompant avant. Bertrand et un de ses amis surréaliste, Roman, feront le lien diplomatique entre nous et la police. On retourne régler les derniers détails et en faire part à Roman qui vient d'arriver. Ce dernier nous dit que cela ne marchera pas car l'hôtel de Fabius possède plusieurs sorties, dont une qui donne pratiquement dans le métro. Merde alors. Et l'hôtel des patrons ? La rue risque d'être certainement plus difficile à bloquer. Devant tant d'inconnues nous décidons un repérage qui aurait d'ailleurs dû être fait il y a deux jours, avant cette réunion - qui aurait dû elle aussi avoir lieu plus tôt. Un groupe part en repérage tandis que l'on décide d'un rendez-vous ultérieur pour finir les préparatifs. Comme il n'y a pas besoin de la présence de tout le monde, je décide de prendre le large pendant que d'autres vont au meeting de l'Inpeg.

Je suis rompu de fatigue. Polia, qui me rejoint, plus encore. Elle est la seule pharmacienne parmi les "demonstraters" à sa connaissance, plus quelques médecins. Elle devra donc rester au camp médical de base. Je lui dis que nous serons sans doute avec les jaunes mais que si j'avais été seul je serais de préférence allé avec le cortège rouge et noir parmi les "bleus", sans doute avec les gens d'AL ou de Scalp puisque ce sont les seuls que j'ai rencontrés ici. Elle me dit qu'elle aussi. Je comprends maintenant combien ça aurait été une bêtise vu mon manque d'expérience en manif et en guérilla de rue et vu la pauvreté de mon équipement. Nous allons faire un saut chez Daniel pour faire la sieste. Polia me dira plus tard que Savas ne voulait pas la croire lorsqu'elle disait qu'on n'allait faire que la sieste. C'est fou ce que les gens ont l'esprit mal tourné ! Et c'est surtout fou comme ce à quoi je pense se lit sur mon visage comme dans un livre et sur celui de cette petite grecque aussi. Néanmoins je dors bien et cette sieste me sera précieuse pour le lendemain. Polia retourne au Centre chercher Savas, qui s'avers être "comme son grand frère" bien qu'il ait le même âge que moi, c'est-à-dire trois ans de moins quelle, tandis que je rejoins la fanfare au resto.

On apprend, par nos contacts, que Fabius quitte la République Tchèque sans attendre le début de la réunion, l'ambassade n'ayant pas pu lui certifier qu'il arrivera sûrement et sans encombre jusqu'au congrès. C'est déjà une première victoire que nous fêtons avec force pintes de bière et vin blanc. On rentre comme on peut, en taxi il me semble sinon je ne vois pas comment on aurait réussi. Comme cela fait 6 personnes dans son studio, Daniel, en bon Anglais qu'il est, soucieux du confort de tous, propose que les Grecs aillent dormir chez Corinne. N'ayant pas le cœur à virer les gens que j'ai plus ou moins invités, je décide de découcher avec Polia, évitant du même coup qu'elle passe la nuit dans le même lit que Cédric de la fanfare qui à des goûts très proches des miens en matière féminine. Nous passons ainsi une courte nuit de sommeil sur le parquet de l'entrée du "flat" de Corinne, après une longue discussion comme on les aime, et qui achève de transformer notre relation en amitié ; cette fille est vraiment chouette. Ma nuit est remplie des rêves les plus dingues que je fais à la limite de la conscience. Je me réveille le lendemain, épuisé, n'étant pas capable de m'en rappeler un seul.

MARDI 26

Lever à 5h30 car Polia doit être dés 6h au centre médical du square. Je l'accompagne jusqu'au tram avant de m'en retourner réveiller les autres chez Daniel. Dans le petit matin gris, le ciel bouché, les files de praguois aux portes des épiceries regardent passer, sirènes éteintes, une dizaine de voitures de polices fonçant silencieusement vers le centre gyrophares allumés… Le jour le plus long est commencé. Nous partons pour arriver à 8h15 au lieu de rendez-vous, devant le théâtre national. Les toulousains n'étant pas là nous décidons d'abandonner l'idée du blocage fixe en deux équipe mais plutôt de rester solidaire et de bouger dans tout le quartier des hôtels pour emmerder le maximum de délégués. Roman a mis un frac pour discuter avec les keufs, c'est bien marrant. Nous avançons donc, chantant et jouant, entourés par notre cordon de manifestants, nous arrêtant et bloquant chaque sortie de chaque hôtel, rompant avant même que les flics ne commencent à se faire menaçants. Nous avons parmi nous Lara, une clown belge qui fera un boulot sensationnel tout au long de la journée avec son diabolo, sa gouaille et ses bonbons qu'elle offre à qui en veut &endash; ou n'en veut pas. Nous finissons par sortir du quartier des hôtels et nous rejoignons un autre cortège plus important venu d'on ne sait où et soudain ils sont là, enfin : tous les Italiens du train, un bon paquet d'activistes, Ya Basta Organizazione en tête. On entonne alors un Bella Ciao qui marche du tonnerre et quatre italiens se joignent à nous avec leurs cuivres et nous suivront durant tout le trajet des "jaunes". Nous arrivons à onze heures à Namesti Miru. Le Square est bondé de monde. Marie Do qui était venu directement en éclaireur nous indique l'endroit où se trouvent les jaunes, "le long de l'église". Nous nous frayons un passages en file indienne dans la multitude, nous repérant les uns par rapport aux autres grâce au petit fanion jaune que certains brandissent au-dessus de leur tête comme signe de ralliement. Nous stoppons enfin, à côté des Ya Basta qui ont sorti la sono et diffusent un live pirate de la Mano Negra, interrompu d'allocutions sur l'organisation des cortèges. Il apparaît que les Italiens viendront avec les "jaunes" car c'est le trajet le plus direct en direction du palais des congrès - on verra plus tard que c'était là une grosse erreur stratégique. Les "jaunes" prendront donc finalement la tête du cortège, direction le pont. En attendant le départ nous tapons le bœuf avec les musiciens qui nous ont rejoint. Le trombone, Joseph &endash; que je prendrai longtemps pour un Italien (il est Anglais) &endash; lance riff sur riff. L'ambiance est festive, le stress insidieux du matin à disparu. Amor y Lucha, comme dirait la Flor del Fango.

Enfin, le cortège s'ébranle, Ya Basta toujours en tête, suivis par les "jaunes" puis un mélange de "jaunes" et de "roses" et de sans couleur et sans doute après par les "roses". Et la fanfare quelque part dans ce magma. Ça marche du tonnerre, tout le monde est à fond. Nous sommes rejoints par une trompette coco qui fait merveille et un soprano Italien digne de la Bandiga. Lorsque nos chanteurs font une pause, Joseph relance des riffs suivis par tous les zicos et ça part en impros monstrueuses. Nous ne savons pas ce qui se passe devant ou derrière, nous sommes tout musique et chant, sax et percus, cuivres, flûtes, nous touchons au "heat" de Kerouac. À un moment le cortège stoppe un instant et nous nous retrouvons, Joseph, le sopran' et ma pomme, par terre, gesticulant et jouant comme des fadas que nous sommes, soutenus par les autres cuivres et le public, que dis-je, les "demonstraters" enflammés qui hurlent à qui mieux mieux. Alain, qui veut venir se rouler par terre avec nous, n'arrive même pas à passer nous rejoindre. C'est une franche réussite, qui semble durer des heures. Bertrand qui ne perd pas le nord et remonte plusieurs fois la manif dans tous les sens nous dira que c'était certainement autour de nous qu'il y avait la meilleure ambiance de toute la manif. C'est un chouette compliment. Au bout d'un moment quelques "roses", se rendant comptent qu'ils sont coupés des leurs qui ont du obliquer vers leur objectif, font demi-tour et tentent d'embarquer au passage tous les "jaunes" qu'ils peuvent. Ce à quoi je résiste en l'envoyant chier, bordel de merde (sic).

Nous nous retrouvons finalement complètement bloqués, tout le monde nous enjoignant de nous taire. Ce que nous faisons. Une trentaine de mètres devant nous le camion de Ya Basta, qui a définitivement coupé sa musique, donne des nouvelles du front en plusieurs langues. En effet, nous sommes arrivés au pont, que l'on aperçoit à quelque 50 ou 100 mètres plus loin. Les Italiens, équipés comme des joueurs de football américains, protégés sur l'avant par d'immenses chambres à air de camion ont lancé assaut sur assaut contre le cordon de policiers qui s'échinaient, en reculant, à taper vainement sur le caoutchouc qui leur faisait face. Les Italiens ont réussi l'exploit de faire reculer plusieurs fois les policiers et de s'engager sur le pont, soutirant au passage quelques trophées arborés fièrement par les gens du camion (matraque, bouclier etc.). Las, la barrière de caoutchouc a fini par céder et c'est directement sous les matraques des flics que se sont trouvés les Ya Basta. La situation étant apparemment bloquée, on s'organise à l'arrière pour que les premières lignes tiennent le plus longtemps possible. Des espaces sont ménagés entre les groupes pour éviter une poussée incontrôlable qui jetterait irrémédiablement les premières ligne aux mains des flics, une réquisition d'eau et de nourriture est envoyée vers l'avant et le camion Ya Basta n'a de cesse de galvaniser les troupes et d'engager les activistes à rester en position sous peine de mettre les Italiens en danger en les abandonnant. L'idée de passer est bien évidemment abandonnée : le but est maintenant de tenir la position le plus longtemps possible pour bloquer les délégués dans le palais. Je vais par moi-même m'assurer de la situation : c'est déprimant. Le pont de Nusle est entièrement recouverts de flics et de véhicules de police dont deux blindés légers et des camions à canon à eau. Au-dessus de nous, les hélicos qui tournoient depuis le matin continuent leur ronde. Je vais rejoindre les gens de la caravane un peu à l'écart. L'inaction les emmerde et il y a bien assez de monde ici pour continuer un blocage efficace. N'y a-t-il pas quelque autre endroit où l'on serait plus utile ? Quelles sont les dernières nouvelles des autres groupes ? Jean Phi nous dit qu'il essaie désespéramment d'appeler le centre de communication qui ne répond pas. C'est un des échec de cette manif. Bertrand revient avec Roman. Les nouvelles sont celles-ci : le groupe des "bleus" descendu dans la vallée pour atteindre son objectif s'est très vite heurté à un fort barrage policier. Ils ont compté "un, deux, trois" et ils ont foncé dans le tas. Ils ont maintenant étaient dispersés, complètement divisés et c'est la guérilla urbaine depuis le début de l'après-midi. On n'arrive pas vraiment à savoir où sont les "roses", mais il semblerait qu'ils aient atteint leurs objectifs et sans doute débuté des blocages. Roman nous donne une nouvelle assez alarmante : il y a une rue derrière le palais des congrès, Maria Cibulkova, qui n'est pas bloquée et des bus commencent à arriver pour évacuer les congressistes. C'est trop loin pour une intervention immédiate, il faut donc essayer de prévenir les "roses" dont c'est le secteur pour qu'ils s'y rendent au plus vite. D'un autre côté, si cette rue n'était pas bloquée c'est peut-être qu'il manque du monde là-bas, ou qu'ils sont mal organisés. Nous décidons donc de rassembler des gars et d'y aller. Quelqu'un propose d'utiliser la sono des Ya Basta pour faire une annonce. Surtout pas, il ne faut pas prendre le risque de dépeupler le pont de Nusle. Si les Flics se rendent comptent qu'il y a une hémorragie en face, ils n'hésiteront pas à charger. Nous essayons donc de rassembler le groupe d'affinité francophone, chopant au passage quelques autres manifestants. La fanfare, mise au courant, préfère ne pas aller là-bas, la zone étant trop proche des combats de rue. De plus les premières lignes des Italiens verraient sûrement d'un bon œil un peu de musique. Soit, la fanfare ira jouer en première ligne ; Aude, Boris, la caravane et mézigue irons voir de l'autre côté de la vallée.

Guidée par Roman et un de ses amis Français parlant tchèque - un surréaliste ? - Cédric, encore un, la petite troupe s'engage dans la vallée. Je me retourne et peut compter une bonne cinquantaine de personnes formant un groupe des plus hétérogènes. Il y a une grande majorité de francophones. Pas mal de Belges dont je ferai la connaissance durant les quelques heures qui vont venir. Lara, la petite clown, est avec nous. Toujours prête. Nous apprendrons, quelques jours plus tard, qu'elle est recherchée par Interpol. En effet, s'étant faite refouler à la frontière tchèque pour un problème de papier, elle a décidé de passer outre et de pénétrer le pays d'une autre manière. Ses parents, n'ayant pas de nouvelles d'elle, ne pensant pas qu'elle ait pu arriver en Tchéquie et s'étonnant qu'elle ne soit alors pas retournée en Belgique, ont averti les flics. Nous passons dans la vallée en contrebas du pont de Nusle, ce qui nous permet d'apprécier la situation d'un autre point de vue, tout aussi dérisoire. Des bruits d'explosion nous parviennent, sans doutes des grenades lacrymos. D'où ? Du pont pensons nous alors. Merde, ça chauffe chez les copains qu'on vient de laisser. Cela sera démenti par la fanfare ; sans doute cela venait-il des bleus alors… Cédric nous mène par des escaliers et des ruelles de l'autre côté de la vallée pour contourner le palais par l'est en faisant un assez grand tour histoire d'éviter tous les barrages. Nous nous rapprochons ensuite du palais et passons devant plusieurs blocages de manifestants en nombre ridicule face à chaque entrée gardée par un nombre de flics finalement assez ridicule aussi si l'on pense à ce qu'aurait fait Ya Basta en venant par ici au lieu d'aller s'enterrer face à l'infranchissable pont de Nusle… Néanmoins, où sont les "roses" ? Nous finissons par atteindre la fameuse rue où stationnaient les bus : surprise, tous les "roses" sont là. Dans un sens tant mieux, on peut espérer qu'ils sont arrivés à temps. Mais pourquoi donc restent-ils en bande, alors que le carrefour d'à côté, croisement des rues Victorinova et Na Pankraci, est complètement libre de manifestants ? Voyant arriver une voiture style mercedesnoirevitresteintées, on se dépêche de l'entourer. Le chauffeur fait vrombir le moteur, amorce un demi-tour et mais les voilà cernés, moi au niveau du phare avant gauche, Cédric B. devant qui a failli se retrouver sur le capot et qui hurle au chauffeur : "You want to kill me ? That's what you want ? To kill me ?". Nous laissons la voiture repartir dans la direction opposée au palais des congrès. Premier banquier mis en déroute.

On commence vite fait à s'organiser. J'attrape un panneau avec une jeune Vénézuélienne et nous commençons à former deux barricades symboliques en travers de la route : une vers le nord, face au cordon de policiers retranchés derrière la barrière du palais, et l'autre face au sud, par où est venue et repartie la voiture. La chaussée Est mène aux autres blocages très dépeuplés que nous avons vus en arrivant, pas besoin de bloquer là. La voie ouest donne en descendant sur la rue occupée par la Batucada et les "roses" qui semblent heureux comme à la gay-pride. L'un de nous va tenter d'aller chercher du renfort chez eux car nous sommes très peu, moins encore que sur les autres blocages. L'attente recommence alors, d'autant plus longue que j'ai laissé mon saxophone avec la fanfare, que j'ai chaud sous mes habits "protection intégrale" et que la faim commence à se faire durement sentir. Cédric B. me passe un bout de pain et du fromage tandis que Jean Phi téléphone pour donner les infos de la situation au sud du palais. Soudain, un cri fuse de la barricade sud. "Voiture !". On se lève et on "s'enchaîne" rapidement, en ligne le long de la barricade. C'est dérisoire, on ne fait même pas la largeur de la rue. La berline s'est arrêtée et un homme en descend : la cinquantaine, costard-cravate-attaché-case, le teint rougeaud du patron bien nourrit (mais qui donc a demandé à un moment à quoi l'on pouvait reconnaître un banquier ?). L'homme vient direct à nous, d'un pas décidé : "Je peux passer ?". L'homme est affable et poli et n'a pas l'air de vouloir se payer notre gueule. Réponse : "Non". "Ah, vous ne voulez pas me laisser aller travailler ?". "Non, mais on peut vous faire un mot pour votre patron", propose Jean Phi. Éclat de rire général, le banquier nous dit au revoir et retourne vers sa voiture. "Qu'est-ce que tu reste scolaire", s'esclaffe xavier. On entend un cri derrière nous : "Attendez" et l'on voit la clown belge qui s'élance au-dessus de la barricade et cours vers la voiture dans laquelle vient de disparaître le banquier. Elle propose un bonbon, on voit une main se tendre hors de la fenêtre puis la voiture démarre. Lara revient, un grand sourire en travers du visage : "Il était plus sympa que les flics. Tout à l'heure sur le pont j'ai essayé d'en offrir aux policiers et je me suis reçu un coup de matraque sur les doigts". Les "roses" ne sont toujours pas là. Par contre, oh putain !, on voit arriver un bus venant du sud. Des banquiers en nombre ? Non, toute une section de Robocops. On s'empresse de reformer la chaîne, et c'est là que je m'aperçois que sur les cinquante du départ si nous sommes trente c'est bien le diable. D'ailleurs tout le monde ne s'est pas inséré dans le barrage humain. Tandis que les Robocops commencent à descendre de leur bus, un autre bus arrive, assez facilement identifiable comme étant un panier à salade industriel. "Cette fois on y a droit, les gars, dit Cédric B., y vont embarquer". On se met d'accord : dès que les flics chargent on décroche et on court en direction des roses. Quelqu'un part les prévenir tandis qu'on décide de reculer d'une dizaine de mètres tout en maintenant la chaîne. Les condés sont bientôt tous descendus du bus et finissent de se préparer. Les blagues fusent, les rires nerveux aussi et la tension monte d'un cran. Va-t-il y avoir les sommations de rigueur de la part des "forces de l'ordre" ? Rien ne semble moins sûr. Les journalistes qui suivent la caravane depuis Longo-maï se paient le luxe d'un travelling latéral sur nos faces aux sourires crispés. C'est pour bientôt. J'ai les doigts qui se rétractent convulsivement. Mouvement chez les keufs. "Attention les gars on se tient près". Et, oh stupeur !, les flics remontent un à un dans le bus ! Ils s'en vont ! Jean Phi : "Je pense que symboliquement on pourrait re-avancer de dix mètres." Pascal "Là, symboliquement, je les ai faits mes dix mètres, si tu veux". Rire général de soulagement, les deux bus font demi-tour. Qu'est-ce qu'il s'est donc passé ? Je regarde pour la première fois derrière moi, qui sait : si c'est pas la petite bête qui à fait peur à la grosse, peut-être qu'il il y toute une troupe de totos armés jusqu'aux dents derrière nous. Mais non. Faut peut-être croire qu'on est effrayant alors. Les "roses" arrivent enfin, en bande, ils ne s'arrêtent même pas et continuent par la rue est, perdant néanmoins au passage les quelques activistes que nous réussissons à convaincre de rester avec nous. Je me demande alors s'il y a encore quelqu'un qui bloque vers l'ouest puisque tous les "roses" sont passés. Je descends la rue vers l'endroit occupé par les "roses" 5 mn avant et je me trouve au milieu d'un Black Bloc. C'est les "bleus", qui n'ont rien mais alors rien de bleu, à part peut-être cette paire d'yeux magnifiques, qui me jettent un regard d'une froideur mortelle qui me fait chavirer et je tombe littéralement en extase devant cette égérie guerrière dont le corps disparaît complètement sous l'uniforme noir, cagoules sur la tête et Molotov au poing. Elle fait un signe de la main et disparaît dans une ruelle borgne suivie d'une dizaine d'anars en tenue de combat. J'en reste pantois, mes nuits seront peuplées des yeux cette fille intouchable que je ne reverrai pas de tout mon séjour. Ma foi, pas de problème de ce côté-ci, c'est certainement l'endroit le mieux gardé jusqu'à présent. Je reviens vers notre "groupe d'affinité" et l'après-midi se passe à arrêter quelques banquiers égarés qui tentent vainement de vouloir rejoindre le centre. Nous laissons passer les ambulances bien entendu, sans même regarder à l'intérieur la plupart du temps. Les riverains passent aussi, de même que les flics en civil, encore plus reconnaissables que les banquiers. On dirait que "l'inspecteur Derrick" a été pris comme modèle national. Bertrand est de temps en temps avec nous avant de repartir se rendre compte de la situation ailleurs. J'en profite pour faire connaissance avec Sattva, la jeune Vénézuélienne et nous finissons par prendre rendez-vous dans trois mois, chez moi à Paname. Il nous est rapporté les infos selon lesquelles si les Français ne sont pas sortis à 16h du centre ils vont louper leur avion. On regarde l'heure : il est plus de 16h. Deuxième victoire à l'encontre de la délégation française donc.

Vers 17h, les nouvelles rapportées par Cédric et Roman qui ont continué à sillonner la ville sont que les "jaunes" quittent le pont de Nusle et que les barrages "roses" se dépeuplent de plus en plus. On ne sait à nouveau pas où sont passés les "roses". Peut-être ont-ils suivi la Batucada qui les a envoyés se noyer dans la Voltava tel le joueur de flûte d'Hamelin ? On commence aussi à parler d'une probable évacuation des congressistes par le métro dont la ligne C serait interdite au public. De plus on apprend que les délégués doivent se rendre ce soir à une petite collation à l'opéra. Le mot d'ordre semble être désormais : "Tous à l'opéra à 18h". Cela nous laisse encore un peu de temps pour continuer un peu le blocage. Ce qui n'a pas l'air d'être du goût des flics qui recommencent le cirque de tout à l'heure. Sauf que cette fois-ci, en plus d'un nombre plus important de condés et de bus prisons, ils ont avec eux un canon à eau qu'ils semblent être en train de mettre en mode "tir". Il faut dire qu'on doit bien être deux fois plus nombreux que tout à l'heure ! Certains veulent décrocher tout de suite. Moi : "S'ils déploient autant de matos pour si peu de manifestants c'est peut-être qu'on tient un lieu important. Auquel cas il faut tenir le plus longtemps possible." Tout le monde n'est pas de cet avis. On sera balayés à la première charge et tous embarqués. Pour dix minutes de plus ou de moins c'est pas malin. Bon d'accord, c'est pas faux. Cédric B. :"Si ça tourne mal, rendez-vous comme prévu à H+40mn sous la statue du cheval de Wenceslas, devant le musée." Les flics chaussent les masques à gaz. Soit, on a compris. Commence alors une retraite calme mais désordonnée. Impossible de faire en sorte que tout le monde reste groupé et vigilant, la troupe s'étale et s'éparpille dans tous les sens. Cédric B s'arrache les cheveux à essayer d'obtenir une cohésion dans le groupe et à tirer tout le monde pour avancer : "Je comprend mieux maintenant pourquoi la théorie Toto fait des ravages", lance-t-il. On repart donc en reprenant le chemin de l'arrivée en sens inverse et en prévenant les quelques derniers résistants de chaque barrage de la présence de la police et du rendez-vous à l'opéra.

On parvient à un barrage encore assez fourni, vers Lounskich, au moment où une voiture banalisée encadrée par deux motards veut tenter d'atteindre l'entrée du palais. Je me jette avec les francophones les plus proches dans la chaîne humaine pour prêter main-forte à ces petits "roses" plus efficaces que le gros de leur troupe. La tension monte très vite. L'un des keufs à moto tente une percée en criant quelques choses que je n'arrive pas à entendre. Les activistes hurlent à leur tour. Le policier est rapidement cerné. Tout le monde crie de se calmer mais la tension monte d'un cran encore. Le flic se fait violent. Il tente de soulever sa roue avant. Comme il n'y a là qu'un seul barrage et pas deux comme nous avions fait au carrefour, il se trouve que nous tournons le dos au palais et donc de fait aux flics entassés derrière les barrières. Au moment où je me rends compte de cette situation, j'ai juste le temps de tourner la tête et je vois à moins de trente mètres les barrières s'ouvrir pour vomir la troupe de Robocops qui foncent matraque en avant et bouclier au poing. "Ça charge !". En un instant, c'est la débandade. Les plus proches sont rattrapés. Je cours le plus vite que je peux sans regarder derrière. Milles crottes de chiens faisandées, j'ai jamais couru aussi vite de toute ma vie ! Je m'arrête 100 mètres plus loin pour reprendre mon souffle dans la rue perpendiculaire. Les flics ne nous ont pas suivis. Je réalise alors combien j'aurai flippé tout à l'heure - pendant la chaîne face au Robocops -, si j'avais vu une charge de flic auparavant. C'était en effet ma première charge live. Impressionnant. On continue tant bien que mal, de plus en plus dispersés, en suivant la rue descendante (Petra Rezka ?) qui longe le palais pour atteindre dans la vallée. Au détour d'un virage, on arrive sur un barrage juste au moment où les flics retournent derrière leur barrière après avoir chargé. Un homme est au sol. Un autre a une énorme bosse au front, un truc gigantesque. Une fille commence à piquer une crise de nerfs. Ses amis tentent de la maîtriser. "Ça commence à charger de partout, dit Cédric. Moi je me casse, vous faites comme vous voulez, rendez-vous comme prévu." Il file par une ruelle donnant sur l'escalier avec une grande partie de la troupe, il me semble, dont Boris et Aude. Je reste un peu en arrière, avec Xav et Jean Phi.

Un type en vélo arrive. Il faut rester nous dit-il, des barrages tiennent encore et des délégués risquent de sortir par là. Soit. On attend encore un peu, nous mêlant aux quelques manifestants assis par terre, lorsque nous parvient la musique de la Batucada. Les "roses" ne tardent pas à apparaître par le bas de la route, venant sans doute de la station de métro, repoussés par un important cordon de policiers. Les flics qui nous ont chargés et ceux qui nous ont repoussés sont en haut, ceux-là arrivent par en bas : leur intention me parait claire. Je me dirige vers l'unique issue, la ruelle qui mène à l'escalier (Pod Terebkou ?) et je reste là en spectateur, attendant que Xav et Jean Phi arrêtent de jouer aux cons et viennent me rejoindre. J'essaie d'expliquer aux "roses" qui passent devant moi que la seule issue encore clean c'est la ruelle mais autant parler à un mur, comme d'hab. ils n'écoutent pas. Les flics me passent devant, formant un cordon qui bloque la ruelle à ceux qui ne s'y sont pas encore engagés. Qu'importe ; j'ai juste le temps de voir la Batucada et ce qui reste des "roses" continuer à se faire pousser vers le haut de la rue, tandis que Jean Phi, Xav et les manifestants assis sont rapidement encerclés par les condés. Je dégage rapidement avec la clown et deux belges avant que les flics n'aient l'idée de vouloir nous mettre le grappin dessus.

Nous rejoignons les restes du groupe d'affinité. Boris a appelé la fanfare, ils nous attendent à Wenceslas pour aller jouer devant l'opéra. Il est 17h50, je prends le tram avec Boris et Aude. Nous retrouvons la fanfare sous la statue, comme prévu, et commençons à nous diriger vers l'opéra quand un type à vélo (le seul que j'ai vu de toute la manif avec celui de tout à l'heure) nous arrête et nous indique une issue de garage souterrain dans les bâtiments neufs attenants à l'opéra. Il n'y a personne pour la garder alors qu'une foule immense se presse devant les marches de l'opéra. Nous laissons de côté notre ego qui nous poussait à vouloir jouer devant l'opéra national de Prague, et nous commençons notre set devant la barrière automatique du garage, sous l'œil des caméras de surveillance. Un attroupement se forme rapidement et nous nous retrouvons vite à une cinquantaine pour bloquer l'entrée. Pendant que nous jouons, des anars cagoulés sont arrivés et ont entrepris de transporter les jardinières de béton devant la rampe d'accès avant d'aller "débrancher" les caméras de surveillances et de disparaître. Alors que nous finissons de jouer, on voit apparaître au loin une bande qui grossit de minute en minute et se dirige vers la place Venceslas. Ce sont les "bleus" de retour du combat. Ils sont tous plus effrayants les uns que les autres, je comprends leur tactique du matin lorsqu'ils se sont trouvés face au flics. Le défilé n'en finit pas. Les derniers ne sont pas encore passés que les premiers sont déjà devant le Mac Do de Wenceslas. "C'est bon, le MacDo va y passer" lance Alain. Et c'est alors que les premiers coups pleuvent sur la vitrine du fast-food que je remarque enfin l'absence totale des keufs. Pas un seul, alors que leurs hélicos tournent encore en l'air, avec leurs gros projecteurs ultras puissants qui balaient les rues de la ville dans la nuit naissante. Ça pue trop, ça sent le traquenard. Je me rapproche néanmoins du Mac Do et croise en chemin la caravane et les Belges. On décroche ensemble avec la fanfare tandis que les premiers flics commencent à cerner les anars "casseurs". C'est très con ce qu'ils ont fait : non seulement ils se sont fait prendre bêtement par les keufs qui les ont laissés aller jusqu'au bout et avaient sans doute placé des provocateurs parmi eux, mais en plus les anars Tchèques auraient pu changer leur image en montrant leur appartenance à un mouvement contestataire international. Pour le coup c'est raté, tant pis. On se casse et on se pose un peu plus loin pour faire une réunion et un bilan. Apparemment, personne ne s'est fait prendre, à part Xavier et Jean Phi. Cédric B. propose de continuer l'action ce soir ou demain. Je suis assez pour car je ne réalise pas encore combien vont être chaudes les heures qui vont suivre. Bertrand nous prévient que la présence de la police va être doublée dés demain. Il est d'avis avec Alain, Dom et les autres que c'est une grosse connerie de vouloir continuer les actions et que pour le moment il vaut mieux se tenir à carreau. De plus, nous sommes trop fatigués ce soir pour continuer, on a eu notre dose et on a faim et mal aux jambes. Nous sommes encore trop près de l'opéra et les flics se rapprochent. On dégage à nouveau et on s'arrête plus loin pour se séparer. Rendez-vous est pris pour le lendemain, même endroit même heure que ce matin, pour tous ceux qui veulent. La caravane et les Belges partent de leur côté tandis que Bertrand nous guide de manière magistrale, réussissant à nous ramener de l'opéra jusqu'à la vieille place de l'horloge sans que l'on croise un seul flic. Le vol des hélicos, la rumeur des combats, la présence policière et notre avancée circonspecte, tout cela contribue à créer une ambiance digne du meilleur film d'aventure. En arrivant au resto, surprise, je croise Savas. Il revient du front des "bleus" avec qui il a passé toute la journée. Il rapporte plein d'images dans sa tête, sans doute de superbes clichés et une blessure au front dû à un pavé anar qui est sorti de sa trajectoire. Il va tenter de retrouver Polia. Je lui dis de faire gaffe à lui et il me répond qu'il faut pas que je m'en fasse car il est protégé par "this shit", désignant par là la carte de photographe de presse et la chasuble rouge dont il est affublé. On se sépare avec l'impression de pas vraiment être sûr de se revoir.

Je quitte le resto assez tôt, n'ayant pas le cœur à trinquer et m'inquiétant de savoir si Savas et Polia sont bien rentrés, de même que Cédric le percussionniste qui nous a quitté avant la fuite de l'opéra pour rentrer à l'appart avec une grande Allemande longiligne qu'il a dégoté je ne sais où. Et Daniel aussi, qui a disparu depuis le pont de Nusle. J'arrive à l'appart sans encombre. Les Grecs ne sont pas encore là et Cédric part raccompagner l'Allemande chez son logeur tandis que Daniel prépare le thé. Cédric revient une bonne heure plus tard en racontant que le logeur a pété les plombs : il ne veut plus voir personne chez lui dés demain matin à cause des événements de la journée. Savas et Polia rappliquent enfin. Elle a de son côté passé toute la journée au camp de Namesti Miru avant de se rendre vers l'opéra. Ils ont débarqué avec les médecins juste après le saccage du MacDo et ont juste eu le temps de voir arriver 40 bagnoles et une vingtaine de vans de la police avant de dégager. Elle nous dit en plus que tous ceux qui se rendent au Convergence Center sont systématiquement arrêtés, même les blessés dans le centre de soin. La grande rafle a commencé.

Le bilan humain se monte pour le moment à 50 blessés du côté de la police et autant du côté des manifestants. Sans doute 400 arrestations dont 300 Tchèques. Les émeutes vont continuer toute la nuit, ne faisant finalement que très peu de dégâts matériels (deux ou trois autres vitrines, je crois). Daniel ne nous demande pas de découcher pour la nuit et nous dormons à 6 dans son studio, après une bonne tasse de thé.

MERCREDI 27

Je ne me lève pas quand le réveil sonne pour le rendez-vous de huit heures. J'ai trop besoin de sommeil. Bien m'en pris comme on pourra le voir par la suite.

Laura et Marc vont voir ce qui se passe en ville. Je me lève plus tard et on part en groupe après avoir dit adieu aux Grecs. Comme Denis se rend compte qu'il a oublié mon billet que je lui avais passé et que ça m'emmerde de retourner le chercher, je décide de retarder mon départ de 2 jours pour voir comment les choses évoluent. La presse ne montre que des images de flics en flammes, de flics blessés, de bagnole en feu, de lancers de pavés… On passe déposer nos bagages à la consigne où l'on rencontre Joseph, le trombone Anglais d'hier, et son pote sopran'. Ils reviennent d'un meeting non-violent qui statue à Namesti Miru pour savoir ce qu'il convient de faire pour exiger la libération des prisonniers. Laura nous appelle justement. Elle est avec Marc dans la manif qui vient de s'ébranler du square en direction de la place de l'horloge. Manque de pot, dés qu'ils ont été bien engagés dans la rue Anglikà la police a bouclé le pâté de maison. Plus moyen ni d'avancer ni de reculer. Pris au piège comme des rats avec 300 ou 400 autres activistes non-violents. Pour le moment l'ambiance est bonne, ils se sont remis à discuter pour savoir quelle attitude adopter face à la police. Marc a tout de suite réagi à la vue des képis et a voulu faire demi-tour en entraînant Laura de peur de louper le bus qui part dans moins de quatre heures, mais, peine perdu, les keufs ont été les plus rapides. Bertrand propose de passer chez l'avocat dont le numéro figure sur les papiers bleus remis par les observateurs légaux. Il se trouve qu'il habite juste à côté de la rue cernée par les flics. Nous passons une fois de plus entre les patrouilles de polices grâce à l'habileté de notre guide qui veut absolument éviter de se faire contrôler (because question de papiers). Cet avocat est une connaissance de Bertrand, il dirige un réseau anar local. Ce brave homme nous avoue son impuissance et son inutilité car les policiers déchirent les papiers bleus : "On connaît, mais ici on n'est pas en Amérique", et les prisonniers n'ont pas le droit de téléphoner. Bertrand nous parque dans la cour de l'immeuble en nous disant de ne pas bouger de là pendant qu'il va voir avec l'avocat s'il ne peut pas traverser le barrage de police qui se situe juste une rue plus haut. Ils reviennent dix minutes plus tard en disant qu'il est impossible de passer, même pour la presse et les observateurs légaux. Les manifestants sont toujours en train de discuter calmement d'après Laura, que nous joignons par portable, mais Bertrand dit que les flics sont en train de faire monter la pression. Sans doute un dérapage de la part des manifestants leur donnerait le prétexte pour charger et embarquer tout le monde.

On décide de se réunir dans un café à 50m des premières lignes de policiers pour discuter de l'opportunité d'une action en prenant quelque frugale en-cas. Nous pensons qu'il nous faut aller jouer pour essayer de faire tomber la pression. Un groupe d'anars Américains commence à crier quelques slogans devant les Robocops. Ils ne sont même pas là depuis une minute que le cordon de police s'ouvre pour vomir une bonne section de matamores de l'état qui encercle les quelques hurleurs qui se font reconduire au bout de la rue après contrôle des passeports. Pariant sur la même attitude de la part des policiers ont "pré-monte" nos instruments avant de s'approcher du premier barrage, ne pensant même pas pouvoir finir le premier morceau. La situation se présente comme cela : un attroupement d'une bonne cinquantaine de personnes, dont beaucoup de journalistes ou d'observateurs puis un premier cordon de policiers, matraques aux poings et boucliers à terre. Cinquante mètres plus loin, un deuxième cordon de flics et, au-delà, les manifestants. Entres les deux cordons, des flics, des flics, et encore des flics. On s'approche assez près des keufs et on attaque cash par Addio Lugano. Les médias sont tout de suite sur nous et s'en donnent à nouveau à cœur joie. Surprise, les flics nous laissent finir ! Qu'à cela ne tienne, on va continuer. "Mettez-vous juste devant le cordon de police, pour l'image" nous demande un journaliste. Nous nous avançons, pas très rassurés de nous trouver littéralement nez à nez avec des mecs armés qui peuvent à tout moment détruire nos instruments d'un simple coup de matraque. Nous allons repartir pour un chant calme quand, de l'autre côté des lignes de police, nous parvient le son d'un saxophone, les premières notes d'El Paso del Ebro. "C'est Marc, il nous répond !". Et nous aussi de lui répondre et c'est parti pour un El Paso craché à la gueule des flics. Jouissif ! Et lorsque les 300 manifestants bloqués entonnent en chœur "El pueblo unido jamas sera vencido" c'est l'apocalypse, un moment de bonheur intense, orgasmatique, et j'en sors plus heureux et tremblant qu'après la meilleure nuit passée avec la plus jolie fille du monde. Les Robocops se sont détendus et s'appuient désormais sur leurs boucliers mais les flics ne libèrent toujours pas le passage. Alain, Roland, Cédric, Jennifer doivent partir pour prendre les bagages avant d'attraper le bus, avec l'indispensable Bertrand qui les accompagne. Marc et Laura espèrent toujours être sortis à temps et leur demandent par téléphone (via le satellite, via Paris et retour, tout ça pour communiquer à 50m de distance, ça c'est fort) de bien vouloir leur prendre leurs bagages à la consigne. Au bout d'un moment, le deuxième barrage de police s'ouvre et laisse sortir une dizaine de types qui tendent leurs passeports qui sont relevés par dix flics alignés dos au mur. Vont-ils laisser sortir tout le monde au compte goutte en vérifiant tous les passeports ? Plus rien ne se passe pendant un moment puis les flics commencent à lever le camp et à rouvrir les barrages. Enfin ! C'est la liesse populaire, les manifestants repartent en direction du square, quant à Sylvie, Denis et moi nous nous dirigeons vers la gare routière et rencontrons Marc et Laura dans le métro.

Laura a décidé elle aussi de ne plus partir pour assister à la suite des événements. Tandis que nous nous hâtons vers le bus, elle nous explique comment s'est déroulée l'assemblée : "Le mot d'ordre a toujours été non-violence, non-violence, non-violence. Néanmoins la tension commençait à monter et les gens, qui nous reconnaissaient, n'arrêtaient pas de nous demander où était la fanfare, disant de la musique, il nous faut de la musique. C'est alors que l'on vous a entendu jouer. Marc m'a dit "viens on va se faire un plan média". Il a sorti son saxo et moi mes castagnettes et on est aller se coller contre les flics. Ça n'a pas manqué, les médias présents ne nous ont pas raté. On est retourné ensuite parmi les gens et tout le monde s'est mis à chanter Bella Ciao, c'était magnifique. Sinon, nous avons demandé à la police de bien vouloir nous laisser retourner dans le square. Ils ont accepté à condition que tout le monde montre son passeport. Re-discussion, toujours très démocratique, traduite en plusieurs langues. On décide de ne pas céder à la police par solidarité pour ceux qui ne sont pas en règle. On refuse donc. Réponse de la police : on veut les papiers des dix meneurs Tchèques. Re-discussion. Hors de question d'envoyer les copains Tchèques au casse-pipe. La fille qui mène le débat propose que dix étrangers se fassent passer pour des leaders, en tant qu'étrangers ils craindront moins. Elle se porte volontaire elle-même et très vite dix personnes sortent pour aller montrer leurs papiers aux flics qui ont ensuite levé le barrage". Au bout de trois heures de négociations.

Nous arrivons à la gare routière. Il manque encore Dominique et les filles qui ne tardent pas à arriver. Personne n'a de nouvelles ni de la caravane, ni d'Aude et Boris qui sont partis ce matin au rendez-vous. Bertrand part raccompagner des gens d'AL qui partent par Eurolines. Rendez-vous comme d'habitude sous la statue. Les gens d'AL s'avèrent être tous là, comme la fanfare. Ouf. On se dit au revoir et on se casse. Le bilan des blessés manifestants est désormais monté à une centaine. Trois amis belges, anciens chanteurs du cours de Giovanna Marini, nous rejoignent pour pouvoir dormir chez Corinne faute d'endroit où pioncer. Nous rejoignons les restes du meeting non violent au square : rendez-vous est pris pour ce soir sur le pont Charles et demain dix heures devant le ministère de l'intérieur. Nous allons rejoindre Bertrand qui nous amène manger un bout dans un boui-boui Tchèque situé juste sur le trottoir en face du commissariat central de Prague. On peut voir, d'où l'on est, une bonne vingtaine de vans alignés, attendant l'alerte. Bertrand nous explique que sous le régime communiste, des dissidents avaient pour habitude de courir en faisant des allers-retours juste devant le commissariat, sans rien dire ou faire d'autre. Les flics enrageaient car ils n'arrivaient jamais à savoir à quel moment les gars allaient s'adonner à ce petit manège et ils n'arrivaient jamais à les choper. D'ailleurs ils ne faisaient rien d'illégal !

Nous joignons le pont Charles par des petites rues muettes. Il n'y a plus personne, la manif à sans doute était dispersée. Comme il n'y a aucun musicien (nous n'avons croisé qu'un seul musicien de rue de tout notre séjour), nous ne résistons pas à l'envie de taper une jam-session à trois sur le pont, Sylvie à la trompette, Joseph au trombone et moi au sax. La milice du pont vient nous demander d'arrêter de jouer. C'est pas le moment de jouer ceux qui ne comprennent pas le tchèque, ces cons-là seraient capables d'appeler les keufs. On remballe et on se dirige vers la place de l'horloge. Les manifestants sont là, entourant la Batucada en cercle au centre duquel s'exerce un cracheur de feu. C'est marrant, on se croirait à une fête nocturne un soir d'été dans une ville à touristes. Seule la présence des flics alignés tout le long de l'hôtel de ville nous rappelle où nous sommes et les événements qui s'y sont déroulés. Bertrand réussit enfin à joindre Michal qui n'a pas de nouvelles d'Aude et Boris depuis le matin. Cela commence sérieusement à m'inquiéter. D'autant plus qu'on ne les a pas vus, ni eux ni la caravane, à toutes les actions de la journée. Est-ce qu'ils se cachent ou est-ce qu'ils sont arrêtés ? Bertrand a eu comme info indirecte de la part de la journaliste qui suivait la caravane que Cédric B. a été arrêté par les flics ce matin alors qu'il se baladait sans ses papiers. Et les autres ? On sait pas. Pas de nouvelles. Nous retrouvons Daniel qui dit que Valérie, l'Allemande de Cédric, va venir dormir avec nous pour la nuit car elle n'a pas de piaule. Elle a deux copines avec elle. Soit, on s'en sortira.

Nous rentrons à l'appart. Savas et Polia sont étonnés de me voir. Moi, je suis bien content &endash; eux aussi je pense. Je les laisse avec Laura et une Allemande chez Daniel et j'emmène les deux autres chez Corinne. Joseph est parti dormir chez Bertrand qui a de la place puisqu'Alain et Marc sont partis. Le Belge Florian lance un jeu de traductions surréalistes en quatre langues - Allemand, Anglais, français et Flamand. Denis, qui ne parle que français, a du mal à suivre le pauvre. Il dira qu'il y avait néanmoins de beaux moments. Ces Belges sont extraordinaires. La fille dont j'ai oublié le nom est le genre de fille capable d'escalader à main nue une grue de travaux publics pour aller sur la flèche se repaître du paysage pendant plusieurs heures. Lorsqu'elle est redescendu, un attroupement s'était formé, les flics et les pompiers avaient été prévenus. Sans doute les passants pensaient qu'elle voulait sauter. Les flics lui ont laissé le choix entre le commissariat ou directement l'HP. "Le commissariat" a-t-elle choisi. Florian lui fera encore mieux. Le jeudi, alors que Prague est plus que jamais sous contrôle policier, cet uluberlu sort son déodorant de son sac et, alors que deux flics patrouillent à quelques encablures de là, il imite les gestes d'un tagger en badigeonnant l'arrêt de bus de déo et en planquant très visiblement son aérosol dans son sac. Forcément les flics s'approchent, après avoir appeler des copains, et surprise pour eux !, l'arrêt de bus et vierge de toute trace. Reviens alors à Bertrand la délicate tâche d'expliquer aux flics que, en gros, Florian s'est foutu de leur gueule ! Bref, nous finissons par aller dormir, moi sur le parquet une fois de plus. Néanmoins la nuit est bonne.

JEUDI 28

Nous nous rendons tous, y compris les Belges et les Grecs, au ministère de l'intérieur, pour demander la libération des prisonniers, la plupart ayant été pris en dehors de toute action violente. Les manifestants sont de moins en moins nombreux, ce qui n'est pas le cas des flics. Bertrand essaie sans succès de joindre Michal pour avoir des nouvelles de Boris et Aude. Nos amis décident de partir ailleurs, un peu saoulés de ces flics qui ne semblent pas prêts à nous laisser longtemps en paix, n'ayant aucune envie de se retrouver bloqués pendant trois heures. Je reste avec Laura pour jouer un coup avec la Batucada, steal alive. Les policiers nous demandent de partir, la manif n'étant pas autorisée. De plus nous bloquons la voie publique et ils nous somment de nous rendre dans le parc derrière le ministère sous peine d'être tous arrêtés. Au lieu d'appeler à une décision collective comme hier, les "meneurs" enjoignent chacun de faire comme il l'entend. Erreur. Du coup une bonne moitié des manifestants dont la Batucada quittent la place. Les flics bloquent la rue au nord et commencent à se mettre en place au sud, laissant encore une issue vers le parc. Du coup l'hémorragie augmente, et nous ne sommes bientôt plus qu'une soixantaine à rester assis devant le ministère. La police nous donne 5 mn pour dégager. La situation semble bloquée. Les flics sont bien décidés à nous arrêter et nous ne sommes pas assez pour leur résister. Des irréductibles Français proposent de s'asseoir par terre et de s'accrocher les uns aux autres. C'est stupide, c'est pas ça qui empêchera 200 flics de nous embarquer, ce n'est qu'un moyen de se prendre des coups. On décide de se barrer avec Laura. Juste à temps : les flics ferment derrière nous l'accès au parc. Je sors mon sax et recommence en solo le coup d'hier, sans les médias qui restent filmer plus loin nos copains qui se font embarquer. Une trentaine - vingtaine ? - d'Espagnols et une petite dizaine de français principalement. Un photographe prend des clichés des keufs qui se reflètent sur mon saxophone. Alain nous appelle depuis Paris : une manif est prévue devant l'ambassade Tchèque en France à 18h. Très bien, même à plusieurs kilomètres, les copains ne lâchent pas l'affaire.

On fini par rejoindre les autres dans le parc où rendez-vous est pris à 15h heures à Mustek pour une manif qui sera "légale", donc pas de crainte de se faire embarquer. Il est encore assez tôt, 13h-14h. Tandis que les "Chiches se désapent et se peinturlurent le corps de slogans, nous tentons de recréer un nouveau groupe d'affinité non seulement francophone mais même carrément français pour aller à l'ambassade de France pour tâcher d'avoir des nouvelles des prisonniers. Il y a là Nico, un chouette gars qui débarque du sud, je crois, des Toulousains, des Bordelais, des Parisiens et d'autres encore. Que des têtes nouvelles. Ont fait tourner une feuille pour marquer le nom des compagnons dont on n'a pas de nouvelles. On arrive à une quinzaine de noms. Laura appelle Alain pour avoir les noms de famille des gens de la caravane. On se rend à l'ambassade. Nous sommes une trentaine. Le type de la sécu nous fait savoir que l'ambassadeur n'est pas là, qu'il revient à quinze heures. Les flics Tchèques nous font dégager jusque derrière les barrières qui entourent l'ambassade, c'est-à-dire en territoire Tchèque. Deux bagnoles de flics débarquent dans un crissement de pneu digne de Starski et Hutch. L'Ambassadeur fini par arriver. Il nous sert la sauce habituelle de "Nous faisons notre travail, les choses avancent". Il accepte que deux personnes viennent avec lui pour pouvoir confronter sa liste à la nôtre. Nico y va avec le téléphone de Laura et nous nous empressons de dégager car deux bagnoles supplémentaires viennent d'arriver. Trop tard, cernés une fois de plus. On a droit à un contrôle de passeport juste sous le nez de l'ambassadeur, chose qui ne se fait généralement que très peu couramment. Le consul dira le lendemain à Bertrand que les mains courantes avec nos numéros de passeports relevées par les keufs sont destinées à être détruites. On verra si c'est vrai lors de notre prochaine venue à Prague.

Nous essayons de rejoindre la manif qui n'est déjà plus à Mustek. On la rattrape pas loin de la place de l'horloge et on joint Nico dans une cabine téléphonique. L'entrevue avec l'ambassadeur est finie, il arrive. On lui donne rendez-vous dans la manif, à côté de la Batucada. On essaie de rattraper la manif et on se retrouve au milieu d'une foule de japonais, sur la place de l'horloge. C'est plein de touristes, y'a un concert, et pas de trace de la manif ! Elle s'est pas volatilisée tout de même ! Quel contraste étrange, tous ces touristes ! On ne les avait pas vraiment vus jusqu'ici. On fouille toutes les ruelles alentour et on fini par retrouver la manif et Nico. Une douzaine de français sont recensés en prison par l'ambassade de France. Parmi eux tous les gens de la caravane anti-capitaliste et Aude et Boris. Plus alarmant encore : Xavier, Jean Phi, Aude et Boris ne seraient plus à Prague mais aurait étés déporté au camp de Balkova, à 150 km d'ici, entre Plzen et la frontière Allemande. Mon Dieu ! Déportés dans un camp ! Le poids du passé et les visions d'horreur reviennent à la mémoire. Mais merde, c'étaient justes des activistes anti-capitalistes non-violents ! Je n'ose pas imaginer ce que sont devenus les anars Tchèques qui ont été pris. La manif stoppe près du commissariat central où l'on vient de voir des prisonniers entrer. Sitting-meeting. Un tract est lu qui fait état de témoignages sur les violences commises en prison. Une fille se serait même défenestrée. 850 personnes auraient été arrêtées. On a le choix entre continuer le trajet "légal" de la manif ou marcher sur le commissariat. On opte pour cette dernière solution. Mais bientôt les flics commencent à encercler le quartier laissant pour seule échappatoire l'accès menant au trajet "légal". Je ne l'ai pas vu, mais certains m'ont dit que les deux prisonniers du commissariat avaient été relâchés, ce qui expliquerait que la manif se soit ébranlée sans concertation vers le trajet autorisé. Je les quitte au bas de la place Wenceslas pour rejoindre les amis sous le cheval.

Il est dix-huit heures. Bertrand a les mêmes infos que nous concernant les prisonniers, sauf que l'ambassadeur lui a dit que les gens de la caravane avaient dû être libérés aujourd'hui. Nous partons à la recherche d'un Web Bar histoire de commencer à transmettre l'info, d'alerter les amis en France ainsi qu'Amnesty, la Ligue des droit de l'homme, l'observatoire des prisons et autres orgas. En passant on fait un saut à l'Info-center pour recouper les infos. On a une troisième confirmation de la déportation de nos 4 compagnons au camp de Balkova ainsi que des violences présumées. Le traducteur français du centre est plus mort que vif, il tombe de sommeil. Je réalise alors le travail incroyable qu'on dût fournir les gens de l'Inpeg depuis plusieurs jours, certainement en sous-effectif. J'essaie de joindre Vanessa à Grenoble pour avoir confirmation des noms de famille d'Aude et Boris et pour qu'elle prévienne leurs parents pour mettre en branle la machine légale. Le problème c'est qu'aujourd'hui c'est férié alors beaucoup de bars sont fermés, le téléphone de Laura est déchargé, plusieurs cabines sont hors d'usage, les quelques web bar ouverts sont réquisitionnés pour les journalistes, bref c'est la merde.

Au bout d'une heure à tourner en rond dans Prague Bertrand réussi à nous trouver un bar ouvert et nous envoyons mail après mail. Bertrand obtient une entrevue le lendemain matin avec le consul avant que ce dernier ne parte pour Balkova. Vanessa me confirme les noms de Boris et Aude, et quand je rappelle avec le dernier sursaut de batterie du téléphone de Laura la mère de Vanessa à juste le temps de me dire que Aude était libérée. Où donc, pourquoi, comment le sait-elle ?, pas le temps de causer, le téléphone coupe. Cette info me paraît étrange. Pourquoi le consul aurait de fausses infos et pourquoi Aude et Boris ne nous ont pas appelés ? On essaie de joindre Michal, toujours sans succès.

On fini par retourner au resto de Stepanska et on dévore chacun un bon bifteck juste avant la fermeture du troquet. Fini pour aujourd'hui, on ne peut rien faire de plus. Demain on ira directement chez Michal pour prendre les affaires d'Aude et Boris pour les ramener en France car ils risquent d'être expulsés sans pouvoir repasser les prendre. Je prends le thé chez Daniel avec Polia, Laura et Savas avant d'aller dormir chez Corinne, sur un matelas pour la première fois depuis une semaine car les Belges et les Allemandes ne sont plus là. On se dit une fois de plus au revoir avec les Grecs avant de décider de prendre un dernier café ensemble demain matin. La nuit est très bonne, pour une fois d'une durée correcte.

VENDREDI 29

Daniel débarque avec Polia et Savas et nous prépare un chouette café. Nous discutons un peu avant de nous séparer, cette fois pour de bon, de nos amis de Tessallonik. Daniel essaie d'avoir Michal, toujours sans succès, mais réussi à joindre Roman qui habite dans le même immeuble et qui a les clefs de Michal. Nous débarquons tous les trois dans ce chouette quartier situé sur la colline au nord de Prague, de l'autre côté de la Voltava, près du château. Roman nous ouvre la porte et, oh surprise !, Aude et Boris sont là ! Ils ont en fait été pris le mercredi matin et relâchés 24h plus tard. Ils ne sont jamais allés à Balkova. Oui ils étaient avec la caravane et la clown belge et tout le monde à été relâché. Oui ils ont bien croisé Xav et Jean Phi, mais ils ne savent pas ce qu'ils sont devenus. Ils ont juste pensé à leurs parents. Ils pensaient qu'on étaient repartis en France, c'est pour cela qu'ils ne nous ont pas appelés. "Sympa les copains, on voit l'opinion que vous avez de nous, comme si on était des lâcheurs" (ça c'est moi, sous cape). Bref, on dit au revoir et merci à Daniel et Roman et on fonce rejoindre Bertrand qui nous attend à Venceslas. On le retrouve. Le consul est parti pour le camp. Normalement tous les derniers prisonniers français devraient être délivrés aujourd'hui. Xav et Jean Phi sont bien là-bas avec quelques autres. Les flics ne se montrent presque pas alors qu'hier encore ils étaient omniprésents. Bertrand nous explique qu'ils font profil bas car les journaux Tchèques commencent à parler des violences des flics en prison. Nous retournons une dernière fois à l'Info-center où Aude et Boris remplissent un formulaire confirmant leur arrestation et leur relaxe. De jeunes punkettes nous confirment la libération des derniers français dont nous n'avions pas de nouvelles, ceux qui se sont fait embarquer devant le ministère de l'intérieur. Elles en étaient. Je revois Sattva à qui je dis à bientôt à Paris et nous fonçons rejoindre Denis et Sylvie qui nous ont apporté nos sacs jusqu'au bus. On leur dit au revoir ainsi qu'a Bertrand, et merci encore, et on quitte la république Tchèque pas mécontents de partir, dans un bus pour une fois digne de son nom. On arrive même à faire du thé avec de nouveaux potes qu'on se fait durant le voyage et on arrive presque à dormir un peu. Arrivée le samedi matin, 7h à Montparnasse. Au revoir Boris (Aude est retournée direct à Grenoble). Au revoir Laura. C'est l'heure d'aller dormir.

Continuaremos la lucha ! No passaran !

 

 

Avertissement : toute diffusion du présent document est non seulement permise mais vivement encouragée. L'auteur répondra de tout ce qu'il a écrit, sachant que c'est, je le répète, un point de vu subjectif, que toutes les infos en sa possession ne sont certainement pas vraies à 100%. De plus j'ai pu me tromper, mal comprendre des infos ou oublier des choses. Toute correction apportée sera agréablement accueillie. N'hésiter pas à envoyer vos propres remarques, témoignages et corrections à : L421@hotmail.com

L'auteur se dégage de toute interprétation ou modification pouvant résulter d'une traduction.

 

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